Journal n°152

Genève embarque sur le vaisseau amiral de la recherche en physique quantique

image-3.jpgLa recherche en physique quantique dispose désormais d’un vaisseau amiral. Lancé à Vienne le 29 octobre, le Quantum Flagship, un programme lesté d’un financement de la Commission européenne d’un milliard d’euros pour une durée de dix ans, emporte à son bord une vingtaine de projets dont trois auxquels participent des physiciens de l’Université de Genève. Un succès qui confirme le rôle de leader en la matière joué par l’institution genevoise et en particulier par le groupe de Nicolas Gisin, professeur au Département de physique appliquée (Faculté des sciences).

Promesses et bizarreries

Les promesses de la physique quantique sont à la hauteur de sa bizarrerie. Dans le monde à toute petite échelle qu’elle décrit, les choses peuvent en effet se trouver simultanément à deux endroits différents, l’observation peut modifier l’objet observé, rien ne peut être prédit avec certitude et il est permis de parler de téléportation.
Ces propriétés contre-intuitives, impossibles à reproduire à notre échelle, ont été vérifiées par l’expérience. En réalité, il existe déjà de la quantique dans la technologie actuelle. Le laser, développé dans les années 1960, en est un pur produit. L’imagerie médicale  par résonance magnétique fonctionne elle aussi sur des principes de la mécanique quantique, tout comme les millions de minuscules transistors inclus dans les microprocesseurs des téléphones portables.
Mais une deuxième révolution quantique est en marche. Basée sur la maîtrise intime des «quanta uniques» (photons, électrons, atomes...), elle ouvre la porte à l’ordinateur quantique, potentiellement capable d’effectuer un grand nombre de tâches simultanément et de résoudre ainsi des problèmes trop complexes pour les machines conventionnelles. Des avancées scientifiques qui pavent la voie pour la communication quantique, pour une forme de cryptographie inviolable, ainsi que pour le développement d’appareils de mesure dont la sensibilité dépasserait ce qu’autorisent habituellement les lois de la nature.

Bernex-Bellevue

Pour toutes ces innovations, il existe déjà des prototypes plus ou moins avancés dans les laboratoires. Celui de Nicolas Gisin a réussi à établir, en 1997, la première communication quantique longue distance, entre les deux villages genevois de Bernex et de Bellevue espacés de plus de 10 km, à l’aide de fibres optiques télécoms. Les progrès n’ont cessé de s’accumuler depuis avec le développement notamment de relais quantiques destinés à rallonger la distance.

Les milliards de la Chine

Les équipes actives dans le domaine se sont multipliées en vingt ans, surtout en Europe et aux États-Unis, mais désormais aussi en Chine. Ce pays investit en effet à coups de dizaines de milliards de dollars dans la communication et l’ordinateur quantiques et peut déjà se targuer de la réalisation de plusieurs prouesses technologiques, dont le lancement en 2016 du satellite expérimental de communication quantique QUESS.
C’est d’ailleurs pour répondre à cette menace sur son leadership que la Commission européenne (CE) a mis en chantier le Quantum Flagship qui vise notamment à développer les synergies entre recherche académique, recherche appliquée et industrie.
L’un des projets retenus, QRANGE (Quantum Random Number Generation), est coordonné par Hugo Zbinden, professeur associé au Département de physique appliquée. Son objectif consiste à développer les aspects académiques et industriels de la génération quantique de nombres aléatoires pour des applications dans l’internet des objets, la cryptographie quantique et le calcul de haute performance.

Mémoire quantique

Le projet QIA (Quantum Internet Alliance), coordonné par l’Université de Delft aux Pays-Bas et auquel participe l’équipe de Mikael Afzelius, chercheur au Département de physique appliquée, tentera, lui, de relever le défi consistant à créer un réseau de télécommunication quantique européen, voire mondial. Cet effort passera notamment par le développement de mémoires et de répétiteurs quantiques, une spécialité genevoise.
Quant à QFlag (Quantum Flagship Coordination and Support Action), il est chargé de coordonner toutes les parties prenantes au programme de recherche – la CE, les États membres, les chercheurs académiques, les acteurs industriels – et d’atteindre le public et les utilisateurs finaux des technologies quantiques. Ce projet, placé sous la responsabilité de Robert Thew, chercheur au Département de physique appliquée, vise à renforcer le leadership de la recherche européenne et à contribuer à créer des opportunités commerciales.
Ces trois projets profiteront du savoir-faire qui s’est développé à Genève et qui est issu du groupe de Nicolas Gisin. Ce dernier est également le cofondateur en 2001 de la start-up ID Quantique qui commercialise les fruits de la recherche genevoise en matière de physique quantique. Deutsche Telekom a d’ailleurs décidé il y a un mois d’investir entre 2 et 9 millions de francs dans la petite entreprise installée à Carouge, tandis que l’opérateur sud-coréen SK Telecom a annoncé pour sa part une mise de 65 millions de francs en février de cette année. —