Campus n°149

Pour 50 milliards de tonnes de sable en plus

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Les rejets des mines représentent le plus grand flux de déchets du monde. Ils pourraient devenir une source pour les matériaux de construction comme le sable et le gravier qui font face à une crise de durabilité.

L'être humain consomme quelque 50 milliards de tonnes de sable par an. Au lieu de l’extraire majoritairement des fonds marins ou des rivières comme c’est le cas actuellement, pourquoi ne pas aller se servir dans les gigantesques terrils où s’entassent les rejets de roches inutilisées extraites des mines? Telle est en tout cas la solution que propose un rapport rendu public le 12 avril dernier. Il s’agit d’une étude préliminaire d’un an, codirigée par Pascal Peduzzi, professeur titulaire au Département F.-A. Forel des sciences de l’environnement et de l’eau (Faculté des sciences), et réalisée en collaboration avec le groupe international Vale qui possède notamment des mines au Brésil. Mais ses résultats ont d’ores et déjà été intégrés dans un autre rapport, celui du Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE), Sand and Sustainability, qui a été présenté le 26 avril. Ce second document comporte dix recommandations aux États membres concernant la problématique du sable et l’une d’elles, citant le groupe genevois, leur enjoint précisément de substituer le sable marin par du sable de minerais, c’est-à-dire issu des mines. Explications.
L’humanité utilise chaque année 50 milliards de tonnes de sable et de gravier. Cela correspond à un mur de sable de 27 mètres de haut et de 27 mètres de large qui ferait le tour de la planète chaque année. Le sable et le gravier constituent donc la deuxième ressource naturelle la plus utilisée après l’eau.

Sable non surveillé

« Le problème, c’est que l’exploitation de ces matériaux n’est surveillée par aucune institution internationale alors qu’il ne s’agit pas d’une ressource infinie (son renouvellement dure des millions d’années) et que son prélèvement a des conséquences environnementales majeures », estime Pascal Peduzzi. Le sable sert en très grande majorité à la fabrication du béton. Il est aussi utilisé comme remblai pour gagner du terrain sur la mer et pour le réengraissement des plages et entre dans la fabrication du verre et des composants électroniques.
« En Suisse, on trouve du sable en quantités importantes dans les anciennes moraines déposées par les glaciers et dont les sous-sols regorgent, poursuit Pascal Peduzzi. Son exploitation ne pose en général pas de problèmes importants. Il faut juste faire attention de ne pas creuser dans les nappes phréatiques et tenir compte des contraintes du paysage. On peut aussi concasser la roche de montagne, comme dans les carrières du Salève. Le problème, c’est que dans le reste du monde, la majeure partie du sable est prélevée dans les rivières, sur les plages et dans les fonds marins. »

 

Sable dynamique

Dans ces endroits, le sable est en effet dynamique et fait partie de l’écosystème. Il filtre l’eau et protège, sous la forme de dunes et de plages, l’intérieur des terres contre les ondes de tempêtes ou les aquifères côtiers contre la salinisation. Un grand nombre d’animaux comme les crabes, les oiseaux ou les tortues dépendent du sable et de la vie qu’il renferme. Les bateaux dragueurs qui en pompent jusqu’à 50 ou 60 mètres de profondeur à l’aide d’aspirateurs impressionnants stérilisent ainsi les fonds marins et perturbent la turbidité de l’eau. Les trous creusés au large peuvent provoquer un écoulement du sable depuis la rive vers le fond et participer à l’érosion de la côte. Cette érosion est encore plus flagrante dans les pays pauvres, là où les gens viennent chercher avec leurs pelles et leur camion du sable qui représente parfois leur unique source de revenu. Le fait de modifier le lit d’une rivière en la creusant ainsi peut changer son cours et provoquer des sécheresses ou des inondations en amont ou en aval.
« Il existe déjà plusieurs sources alternatives de matériaux de construction telles que le recyclage des bâtiments détruits ou la récupération des cendres des usines d’incinération des déchets, souligne Pascal Peduzzi. Mais les volumes restent très modestes au regard des besoins. Le seul secteur qui produit assez de matière, c’est celui des mines, dont les rejets inutilisés atteignent entre 30 et 60 milliards de tonnes par année, c’est-à-dire le même ordre de grandeur que le sable consommé chaque année. C’est un gaspillage impressionnant. Sans parler du fait que ces tas de sable et de gravats prennent une place énorme sans rien rapporter et peuvent en outre s’avérer dangereux. »

Sable de minerais

Concrètement, le chercheur genevois a travaillé sur les terrils d’une mine de fer de la compagnie Vale au Brésil. L’analyse chimique et physique a montré que ces matériaux sont propres mais que la taille des grains de sable est trop fine pour espérer en faire directement du béton. Une solution pour le rentabiliser tout de même dans une filière de construction consisterait à le mélanger avec du matériel plus grossier. Une autre reviendrait à changer le mode opératoire de la mine. Celle-ci devrait broyer la roche plus grossièrement. Elle en tirerait moins de fer mais produirait en contrepartie du sable directement utilisable pour la construction qu’elle pourrait donc vendre. « Ce sable, nous l’avons baptisé ore-sand, ou sable de minerais, pour bien marquer le fait qu’il ne s’agit pas d’un déchet de l’exploitation du fer mais d’un coproduit, équivalent au sable marin ou issu d’une carrière ou d’une gravière, explique Pascal Peduzzi. Il faudrait bien sûr calculer les pertes économiques liées à la baisse d’extraction du fer et vérifier qu’elles peuvent être compensées par les ventes de sable. »
Le groupe minier Vale, qui a participé à l’étude, n’a, quant à lui, pas perdu de temps et a déjà vendu, à ce jour, un million de tonnes de sable de minerais pour la construction.
Le sable de minerais représente également l’avantage de n’émettre que 0,7 gramme d’équivalent CO2 par kilo, contre 3,7 à 4,5 si l’on devait ouvrir une nouvelle carrière.

Sable raffiné

Grâce à une collaboration avec le Sustainable Minerals Institute de l’Université du Queensland en Australie, les scientifiques ont également réussi à raffiner le sable de minerais et à obtenir du silicate d’une pureté oscillant entre 99,5 et 99,7 %, ce qui suffit pour faire du verre. La valeur de ces terrils pourrait donc augmenter davantage encore, puisqu’un matériau de cette qualité se négocie entre 35 et 50 dollars la tonne (contre 6 à 12 dollars pour le sable de construction), presque autant que le fer, par exemple.
Cela dit, l’utilisation du sable de minerais pour la construction est rentable seulement si les mines se trouvent à une relative proximité des zones en développement où il serait utile (dans un rayon de 50 km environ). Le rapport montre que dans certains pays, les sables de minerais pourraient ainsi couvrir une grande, voire la majeure partie des besoins en matériaux de construction (60 % pour le Chili, plus de 40 % pour l’Afrique du Sud et le Ghana, par exemple). La Chine pourrait, quant à elle, couvrir un quart de ses besoins de cette façon. Et comme elle engloutit près de la moitié du sable consommé par année, le volume est plus que significatif.
Le sable de minerais pourrait aussi représenter une solution pour l’Afrique où la population devrait doubler d’ici à 2050, entraînant avec elle une explosion du secteur de la construction. Le problème, c’est que le sable y est actuellement exploité en majeure partie de manière informelle sur les plages et les rivières, avec des impacts sérieux sur l’environnement ainsi que sur d’autres secteurs économiques comme la pêche ou le tourisme.


Anton Vos