5 mai 2021 - UNIGE

 

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Sur les pas des Suisses et Suissesses d’Algérie

Plus de 2000 citoyens et citoyennes suisses ont fait leurs valises pour l’Algérie entre le milieu du XIXe siècle et l’indépendance du pays. Un ouvrage basé sur des sources inédites retrace leur parcours.

 

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Colonie de vacances. Alger, La Bouzaréah, 01.08.1941. Image: Archives fédérales suisses 

Au printemps 1962, plus de 500’000 Pieds-noir-es sont rapatrié-es d’Algérie par les autorités françaises. À leurs côtés figure un maigre contingent de citoyens et citoyennes suisses qui rentrent au pays. Cinquante ans après les faits, l’ouverture des archives permet de reconstituer leur histoire. C’est précisément l’objectif de l’ouvrage récemment publié par Marisa Fois, collaboratrice scientifique à l’Institut de recherches sociologiques (Faculté des sciences de la société), qui fera également l’objet d’une conférence le jeudi 20 mai 2021. Une étude qui revient sur les activités de ces colons sur le territoire algérien, mais aussi sur les désillusions qui ont accompagné leur retour.

 

 

Le Journal: La Suisse a-t-elle contribué au processus de colonisation de l’Algérie? Et si c’est le cas, dans quelle mesure?
Marisa Fois:
La Suisse est essentiellement impliquée à travers l’envoi de colons et qui ont été en quelque sorte glissés dans le processus de colonisation à l’appel de la France. Au XIXe siècle, l’émigration suisse et allemande est sollicitée et incitée directement par Paris. Dans un premier temps, ce sont particulièrement les couches sociales défavorisées qui sont poussées à partir, leur départ étant financé par une partie de la bourgeoisie suisse. C’est notamment le cas de la Compagnie genevoise des colonies suisses de Sétif, fondée en 1853 par des investisseurs genevois. 

De quelles régions venaient ces colons, et quelles activités exercent-ils/elles sur place?
De Suisse romande, mais aussi du Tessin, dans une moindre mesure. À ma connaissance, il n’existe pas d’immigration suisse alémanique organisée en Algérie. Du point de vue de leur activité, en plus des entrepreneurs et entrepreneuses, on trouve des missionnaires. Certain-es sont parti-es pour évangéliser activement, et d’autres ont fondé des missions, comme les Sœurs de Grandchamp. D’autres encore sont devenus militaires, soit dans l’armée française régulière, soit dans la Légion étrangère, un phénomène qui est bien décrit dans les archives. 

Comment s’est passé leur retour en Suisse?
Après l’indépendance de l’Algérie, la Confédération les a poussé-es à revenir en Suisse, en leur faisant miroiter du travail et des logements. En réalité, ils et elles n’ont rien obtenu, ce qui leur a permis de se poser en victimes de la colonisation. De leur point de vue, alors que la Suisse cherchait à promouvoir une image d’elle-même positive à travers le monde, elle avait abandonné ses propres ressortissant-es. Une fois en Suisse, les anciens colons se sont donc souvent organisés en communautés, afin de reconstituer l’atmosphère de leur vie coloniale. Elles et ils se réunissent pour écouter de la musique algérienne et manger des méchouis. À leurs yeux, la vie en Algérie représente une époque heureuse, à l’inverse de leur retour en Suisse, un pays dans lequel ils et elles ne se reconnaissent pas et ne se sentent pas les bienvenu-es. C’est un phénomène que l’on constate dans d’autres groupes d’anciens colons, comme les Italiens et les Italiennes de Tunisie, par exemple. 

Pour votre étude, vous vous êtes basée sur les archives officielles de l’Association des Suisses spoliés d’Algérie ou d’outre-mer. Pouvez-vous nous en dire plus?
Il s’agit d’une association fondée à Genève en 1967 et composée de membres originaires de toute la Suisse romande. Elle s’est constituée autour d’une procédure légale, après le refus de Berne d’octroyer à ses membres des indemnisations pour perte de biens à leur retour en Suisse. Leur demande n’a pas abouti à cause d’un fort débat public. L’usage du mot «spoliés» dans le nom de l’association rappelle que, même si le pays n’a pas pris part à la colonisation de l’Algérie de manière officielle, il y a tout de même participé.

L’Algérie est-elle le seul pays où la Suisse a eu des intérêts coloniaux?
Les archives montrent que la Suisse a eu des intérêts un peu partout en Afrique. Jusqu’aux indépendances des pays d’Afrique du Nord, il y avait des communautés helvétiques au Maroc, en Égypte ou en Tunisie. Ces communautés sont de très petite taille en comparaison avec d’autres présences étrangères – les sources parlent d’environ 2000 Suisses et Suissesses enregistré-es au consulat en Algérie –, mais elles sont toujours liées à un intérêt économique. 

Quelle est la position de l’Algérie sur ce sujet?
Les documents officiels algériens que j’ai pu consulter ne font pas mention d’un débat. Ce qui en ressort surtout, c’est que la Confédération a joué un rôle positif. Elle accueille notamment beaucoup de réfugiés indépendantistes algériens. Par exemple, en 1954, les chefs historiques de ce qui deviendra le Front de libération nationale algérien se rencontrent à Berne, d’où ils militent en faveur de l’indépendance. Par ailleurs, la Suisse participe activement au processus de décolonisation en facilitant les Accords d’Évian entre la France et l’Algérie en 1962. Cette perception bienveillante est renforcée par la politique d’aide économique au développement lancée par la Suisse dans les années 1960. 

 

Marisa Fois
«Héritages coloniaux, les Suisses d’Algérie»
Seismo Verlag
184 p.

Jeudi 20 mai 2021, 12h30-14h (en ligne via Zoom)
Héritages coloniaux : les Suisses d’Algérie
Marisa Fois - SdS, UNIGE
Discutant : Marc Perrenoud – groupe de recherche des Documents diplomatiques suisses

 

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